Culture
L’eau dans la culture
Le rôle de l’eau dans la Casbah doit être replacé dans sa dimension historique. L’eau et sa distribution dans la ville dépendent de plusieurs domaines notamment l’architecture et l’ingénierie, mais aussi des usages qui en sont faits. La qualité de vie « liée à l’eau », qui définit l’aquosité, est un enjeu propre à beaucoup de villes méditerranéennes. L’eau, en plus de participer à l’originalité urbaine d’une ville, contribue à alimenter tout un patrimoine immatériel (légendes, folklore…)
La ville d’Alger est riche d’un patrimoine hydraulique permettant à sa population d’avoisiner les 100 000 habitants au xviie siècle et d’en faire une capitale méditerranéenne. Un des premiers éléments de ce patrimoine sont les « sources sacrées » : la « Fontaine des Génies » ou Seb’aa Aïoun (les sept sources) était une source d’eau douce de nos jours effacée par la construction du front de mer ; ces jaillissements d’eau douce en pleine mer leur conféraient un caractère mystique. Le djinn de cette fontaine, Seb’aa Aïoun, est, pour les Sub-sahariens, Baba Mûsa, surnommé Al-Bahari, l’esprit aquatique d’eau douce venu du Niger. La source Aïn Sidi ‘Ali az-Zwawi doit son nom au saint Ali az-Zwawi mort en 1576 et est évoquée par Diego de Haëdo. L’eau, à laquelle les habitants prêtaient de nombreuses vertus, coulait à l’origine dans son mausolée situé en dehors de la porte Bab Azoun et de nos jours détruit. Cependant la source coule toujours dans une boutique de la rue Patrice Lumumba145. Parmi les fontaines les plus célèbres on peut noter celles reliées à un marabout, ce qui leur confère une dimension mystique comme celle de Sidi AbdelKader, de Sidi Ali Ezzaoui, de Mhamed Cherif, de Mzaouqa, de Sidi Ramdane146 et d’autres comme Aïn Bir Chebana, etc. Celle de Mhamed Cherif est connue pour avoir le pouvoir d’apaiser les angoisses et les tracas grâce à trois gorgées de son eau.
Les fontaines d’eau sont aussi considérées comme des œuvres de générosité publique et à ce titre sont désignées dans la toponymie algéroise par le terme arabe de sabil ou, généralement au pluriel, sebala, ce terme désignant littéralement une œuvre charitable et désintéressée. Selon Kameche-Ouzidane, ce terme provenant du Coran, qui signifie littéralement « voie, route, chemin », est à l’origine de l’expression fi sabil Allah, traduisant l’idée d’une action désintéressée et généreuse. Il va désigner progressivement à travers les âges les fontaines et les bassin d’eau potable publics aménagés par la générosité d’une personne. Ce genre de dons permet de perpétuer le nom du donateur et d’assurer son salut dans ce qui est considéré comme un « monde périssable ». De nombreuses gravures sur les fontaines rendent compte de l’utilité de l’eau et l’importance des fontaines comme utilité publique. Cette utilité étant d’autant plus grande qu’initialement, les fontaines étaient, avec les sources, un endroit obligé pour se procurer de l’eau, et qu’elles ne pouvaient en aucun cas être privées ; les donateurs, tout comme les habitants des palais, avaient interdiction de construire de telles fontaines dans leurs habitations. L’autre forme d’approvisionnement en eau était celle des nombreux puits (environ 2 000 puits recensés pour 3 000 habitations au début de l’ère coloniale), et autant de citernes, situées dans les sous-sols, qui permettaient la récupération de l’eau de pluie tombant sur les terrasses.
La fontaine dite de la « Cale aux Vins » encastrée de nos jours dans un mur du musée des antiquités d’Alger comporte une épigraphe de 1235, très expressive, concernant l’utilité publique des eaux et le rôle du bienfaiteur Hussein Pacha comme en témoigne la traduction de Gabriel Colin :
« C’est par l’eau que tout vit ! Le gouverneur, sultan d’Alger, Huseyn pacha, dont les pieux
desseins tendent toujours aux bonnes œuvres et qui, sans jamais s’éloigner de la bienveillance, amène l’eau en tous lieux, a fait couler cette onde et a construit cette fontaine. En irriguant cet endroit, il a abreuvé celui qui avait soif. Bois en toute aisance une eau
fraîche à l’amour de Huseyn. »
Cependant, sur les 150 fontaines qui furent en fonction dans la médina, il n’en reste qu’une dizaine de fonctionnelles. Désignées par les mots arabes aïn (fontaine) ou bir(puits), elles dénotent d’un certain plaisir de vivre dans la cité à travers ses espaces publics. Ainsi la Fontaine des Veuves (Aïn al-Ahjajel), avait-elle pour réputation d’avoir le pouvoir de rendre un mari aux veuves. Ces fontaines font partie intégrante de la médina, elles subsistent, quoique taries, comme lieux de mémoire, notamment par leurs appellations et leur rôle dans la toponymie de la vieille ville.